Pourriez-vous vous présenter en quelques mots, nous dire quelques éléments importants de votre parcours, notamment en ce qui concerne votre intérêt pour le sujet des migrations ?
Mon intérêt pour l’histoire des migrations vient de mon histoire familiale du côté de ma mère originaire d’Espagne et venue en France avec ses parents dans les années 1950. J’ai été marquée par la transmission d’une histoire traversée par la violence, la pauvreté, et par un fort sentiment d’injustice et d’humiliation. La période pendant laquelle j’ai grandi est à mon sens également importante dans mon intérêt pour le sujet de l’immigration : la montée de l’extrême droite dans les années 1980 et la centralité de cette question dans les discours publics en France.
Animée par un désir de mieux comprendre la société dans laquelle je vivais, j’ai choisi d’étudier l’histoire. Mon année de maîtrise (mon mémoire portait sur la prison d’Avignon au XIXème siècle), en particulier le contact avec les archives et le travail d’enquête, a été décisive : j’ai découvert le plaisir de pratiquer la recherche historique. Quelques années plus tard, je décide de faire une thèse en histoire des femmes et du genre découverte à l’université et qui me passionne. Alors que je me questionne sur un possible sujet de thèse, je lis le récit autobiographique de ma mère. Son parcours et celui de ma grand-mère m’amènent à m’intéresser à l’histoire des femmes dans l’immigration. Je fais alors le constat d’un silence historiographique français sur ce sujet et je décide de travailler sur cette question. Le contexte dans lequel a évolué ce projet de thèse est aussi important. La fin des années 1990 et le début des années 2000 ont été particulièrement marqués par un regain d’intérêt pour les femmes immigrées que ce soit au niveau politique, institutionnel, militant, médiatique. Au niveau scientifique, c’est aussi un moment où le concept de genre et l’approche intersectionnelle qui met en évidence l’hétérogénéité du groupe des femmes et interroge l’articulation des différents rapports sociaux, commencent à être intégrés à des recherches en sciences sociales en France.
Concernant les migrations, quelles sont les questions qui sont au cœur de votre travail de recherche ? Pourriez-vous présenter votre démarche, ses enjeux, vos partenaires ?
La question au cœur de ma recherche doctorale (publiée en 2013 aux éditions de l’École normale supérieure de Lyon) est la suivante : comment le genre, croisé à d’autres rapports sociaux (âge, situation matrimoniale, statut national, etc.) joue sur le droit au séjour ou au travail, et dans l’accès à la nationalité française ? Pour y répondre, j’ai choisi comme « terrain » la France des décennies 1920 et 1930 en me concentrant sur la ville de Marseille afin d’observer des politiques en pratique. Dans cette recherche, j’ai pu constater que si les lois et règlements relatifs à l’immigration sont conjugués au masculin-neutre (mais ce n’est pas toujours le cas), ils sont appliqués différemment pour les hommes et les femmes. En outre, ces pratiques sont fluctuantes selon le contexte et l’échelon administratif ; elles sont aussi parfois contradictoires. Cette recherche démontre également que les représentations sociales et culturelles (discours médiatique, discours d’experts et de savants) que j’ai aussi analysées dans ce travail ont des effets de réel sur les politiques et les pratiques administratives. J’ai aussi mesuré la capacité d’agir des individus, hommes et femmes concernés par les politiques étudiées : leur connaissance des critères de sélection et des arguments à utiliser pour augmenter leurs chances d’obtenir gain de cause. J’ai aussi pu repérer leur capacité à se mobiliser, par exemple dans le cas des grèves d’ouvrières venues d’Italie travailler temporairement dans les usines textiles marseillaises. Je me suis également intéressée à la genèse de la procédure de regroupement familial : j’ai découvert qu’elle datait des années 1920, et non de l’après Deuxième Guerre mondiale comme on le pensait. Cette recherche m’a aussi amenée à considérer la multiplicité des actrices et acteurs des politiques migratoires à différentes échelles : locales, nationales et internationales.
Après la soutenance de ma thèse en 2008, j’ai immigré au Canada où j’ai habité pendant 8 ans. J’ai pu mener de nouvelles recherches là-bas dans le cadre de postdoctorats et j’ai participé à des projets, toujours en lien avec l’histoire des migrations et celle des femmes et du genre. Ma recherche actuelle porte sur les normes genrées liées à la protection des migrant.es dans la première moitié du XXème siècle dans une approche transnationale : je m’intéresse aux acteurs et actrices qui façonnent ces normes (les organisations et les associations internationales), à la production d’expertise et la traduction de ces normes en pratiques dans le travail social international auprès des migrant.es. Je m’intéresse particulièrement à la question de la séparation des familles qui émerge dans les années 1920 et préfigure le droit au regroupement familial.
Comment pensez-vous pouvoir vous impliquer dans le Réseau Traces ? Quelles sont vos possibilités de partager votre travail -vos recherches, les ressources qu’il constitue – avec le Réseau TRACES et le public de la région Auvergne-Rhône-Alpes ?
J’ai rencontré des membres de TRACES en 2018, par le biais du CPA et de l’Ethnopôle Migrations, Frontières, Mémoires avec qui je travaille sur plusieurs projets. Mon retour dans la région AURA me permettra de participer avec plaisir aux différentes activités du réseau et me donnera l’occasion de partager les résultats de mes recherches pour rendre plus visibles les femmes dans l’histoire des migrations et les enjeux de genre liés à la question migratoire.