Pourriez-vous vous présenter en quelques mots, nous dire quelques éléments importants de votre parcours, notamment en ce qui concerne votre intérêt pour le sujet des migrations ?
Je suis en doctorat d’anthropologie à l’Université Lumière Lyon 2, j’ai repris ce cursus en Anthropologie tout en étant auparavant infirmière. J’ai beaucoup travaillé dans le médico-social où les questions de la migration mais aussi des personnes en situation de précarité, étaient très au cœur de mon travail et de mes centres d’intérêt. Et c’est vrai qu’après j’ai repris mon cursus en anthropologie et dès le master je me suis intéressée au contexte de vieillissement et des migrations du point de vue des femmes. C’est un sujet que je travaille depuis 2013.
Concernant les migrations, quelles sont les questions qui sont au cœur de votre travail de recherche ? Pourriez-vous présenter votre démarche, ses enjeux, vos partenaires ?
Ce qui est au cœur de mon travail, c’est la question des femmes immigrés et âgées de plus de 60 ans et plus de 80 ans qui en général ont immigré en France dans les années 1950-60. Ces femmes sont d’origine maghrébines (Algérie, Maroc et Tunisie) et majoritairement des femmes algériennes. Mais aussi de l’Afrique de l’Ouest en particulier du Sénégal. En 2013, j’ai commencé mon terrain de recherche aux Minguettes à Vénissieux, dans une anthropologie du très proche en termes de distance géographique et plus récemment dans le cadre de la thèse j’ai débuté un terrain en parallèle dans le centre-ville de Marseille. Ce qui m’intéresse surtout c’est de questionner l’invisibilité sociale de ces femmes, ce sont des femmes qui sont dites invisibles soit dans les structures dites du troisième âge, au sein de la recherche en sciences sociales ou encore dans le droit commun. Et c’est ce discours que l’on retrouve beaucoup en sciences sociales, en anthropologie il y a très peu de recherches à leur sujet. De manière générale, il y a eu quelques écrits mais très peu, comme une thèse en sociologie en 2007 ou quelques articles mais pas de recherches qualitatives, véritablement ethnographiques depuis 2007.
Cela m’a interrogé dans le sens où ces femmes sont présentes depuis les années 1950 et sont considérées comme invisibles alors qu’elles sont bien présentes et ancrées dans leur quartier, c’était cela mon fil rouge. Pour répondre à cette question-là, j’ai passé et passe encore beaucoup de temps avec elles en lien avec des associations. J’ai commencé à travailler avec une association d’habitantes qui s’appelle « Bien vivre pour bien vieillir » et qui menait des actions avec les personnes qu’ils appelaient les aînées du quartier sur tout le territoire des Minguettes. Cela m’a permis de faire beaucoup d’entretiens dans les domiciles de ces femmes, des appartements qu’elles habitent parfois depuis le début de la création des Minguettes. Mais dans un second temps, je me suis rapprochée des centres sociaux des Minguettes avec lesquels je suis toujours proche, dans ces centres sociaux j’ai eu recours à l’observation participante dans les cours de français et puis après je devenue bénévole. Dans ces ateliers, il y a eu peu de femmes âgées pour différentes raisons, en parallèle de ces cours de français je prenais des cours d’arabe dans une moquée pour avoir une vision d’un lieu de vie entre le privé et public. Dans la mosquée, on retrouvait beaucoup de femmes âgées, à la fois pour apprendre la langue arabe mais aussi en tant que lieu de sociabilité.
Pour la thèse, j’ai continué sur le territoire des Minguettes mais en ayant une méthodologie un peu différente. J’’ai proposé avec les centres sociaux et des artistes (en particulier une photographe et une artiste plasticienne) de monter des ateliers avec des femmes intéressées (immigrées et âgées de 60 ans et plus) pour qu’elles puissent raconter leurs souvenirs de leur quartier. L’idée de ma recherche n’est pas de les ramener à leur culture d’origine, au contraire le but est aussi de déconstruire l’argument culturel pour expliquer le parcours de ces femmes en partant plutôt de leur quartier et de leur ancrage à ce quartier. Ces ateliers collectifs visaient à ce qu’elles puissent raconter leurs parcours et leurs souvenirs. On a beaucoup travaillé avec les photographies, celles des archives personnelles des femmes mais aussi celles des archives municipales ou des photos que l’on a et qu’elles ont prises. On en a fait une exposition qui a eu lieu en 2018 deux fois, dont une fois avec la biennale TRACES. Et à Marseille, dans la même démarche, j’ai travaillé avec une documentariste qui travaille beaucoup le son, avec des ateliers collectifs. Le quartier que j’étudie est Belsunce à Marseille avec des femmes qui y habitent ou qui y ont vécu. Toujours par le biais d’une association qui travaille pour l’accès aux droits des personnes retraitées au sein du quartier Belsunce. Une création sonore a été faite avec les différents récits des femmes autour de ce quartier Belsunce, ce qui leur a permis aussi de raconter leurs parcours de vie.
On a pu mener aussi une rencontre entre ces deux groupes de femmes (des Minguettes et de Belsunce). Cela a été intéressant pour l’échange entre elles, cela a été possible grâce aux centres sociaux des deux quartiers mais aussi des associations et notamment le TAMIS à Marseille. J’ai toujours travaillé avec des associations et notamment Tillandsia, un autre partenaire de la biennale TRACES. On a pu monter un court métrage où des jeunes du quartier des Minguettes ont pu revenir avec ces femmes âgées sur les différentes initiatives. Tout ceci a constitué le cœur et l’intégralité de mon terrain de recherche.
Le lien crée a pris du temps à se construire par le biais de ce temps long et continue à se construire aujourd’hui. Le fait de passer par des associations a permis d’avoir différents éléments de réponses. L’observation participante au centre social et dans les différents lieux a pris du temps. Par exemple, le fait de rentrer dans la mosquée qui est un lieu culte et stigmatisé cela a pris un peu plus de temps pour prendre contact. Ce sont vraiment des questions de liens et de rencontre aussi et puis après dans les ateliers collectifs, d’autres questions ont émergé, en plus de la question de la confiance il y a aussi la question de « ne pas savoir quoi raconter ». Leur montrer petit à petit combien leurs vies sont intéressante s et ensuite est venue la question de l’exposition qui n’était pas une finalité en soi, il a fallu du temps pour qu’elles acceptent de participer à cette exposition et qu’elles la fassent leur.
Comment vous êtes-vous impliqué dans le Réseau Traces par le passé ? Quelles sont vos possibilités de partager votre travail -vos recherches, les ressources qu’il constitue – avec le Réseau TRACES et le public de la région Auvergne-Rhône-Alpes ?
Je suis allée à plusieurs rendez-vous de TRACE, c’est vraiment un réseau passionnant, une belle initiative. En faire partie et pouvoir y participer plus ce serait avec grand intérêt. J’ai connu TRACES au tout début de mes recherches, sur la question du vieillissement des femmes en migration avec l’association l’ADATE et Abdellatif Chaouite. Un des numéros d’écart identité est une des seules revues qui s’est saisi de cette question. Je suis allée à TRACES aussi avec une série de conférence à St Etienne. En 2018, une année de biennale, j’ai contacté TRACES pour l’exposition. On devait reproposer la projection en 2020, du film de Nadir Dendoune qui parle de sa mère et faire un échange avec le groupe des femmes des Minguettes, cela n’a pas pu se faire avec la situation actuelle, à voir si cela serait possible au cours des mois à venir.
Voici les éléments complémentaires :
Site actuel du labo :
https://ladec.cnrs.fr/project/leblanc-serradj-julie/