Pourriez-vous vous présenter en quelques mots, nous dire quelques éléments importants de votre parcours, notamment en ce qui concerne votre intérêt pour le sujet des migrations ?

J’ai eu l’occasion de m’investir dans le livre de Pascal Boniface, « Les intellectuels intègres », où j’ai eu l’occasion d’en parler mais en fait je me suis intéressée très tôt à la question migratoire parce que je suis moi-même issue d’une famille qui a beaucoup migré à travers le monde et notamment ma famille paternelle. La vie de ma famille est une histoire de migrations. Mon père est allé à l’école en Amérique Latine et mon arrière-grand-père a même travaillé dans les chemins de fer en Amérique du Sud. Dans la famille, on est très sensibles aux questions d’exils, de réfugiés, de discriminations et pas du tout ancré dans un terroir.
Cela m’a amenée à interroger des questions qui ont été à une certaine époque très peu étudiée. La génération de Gérard Noiriel et Patrick Weil dont je fais partie a décortiqué dans d’autres approches sur la question de l’immigration, mais nous sommes tous des pionniers. Il y avait très peu d’ouvrages sur cette question, elle était noyée dans d’autres disciplines. Il n’y avait aucun atlas des migrations, aucune cartographie, aucune histoire longue ; c’était une sorte de découpage d’un sujet nouveau qui commençait à interpeller. J’ai été l’une des premières dans le domaine des sciences politiques à travailler dans ma thèse sur la question des phénomènes migratoires ; les immigrés et la politique en France. Ensuite j’ai travaillé sur l’Europe et l’immigration du sud mais aussi de l’est, des comparaisons avec les États-Unis mais aussi une vision mondialisée des migrations. Un parcours qui a mis en place un certain découpage, pour explorer différents domaines et permettre d’inscrire cette thématique dans ce que l’on appelle la science aujourd’hui.
Ce parcours a été surtout fait sous le prime de ma formation initiale à Science Po et en Droit à Paris 1 Panthéon – Sorbonne. Il est aussi le fruit d’un travail de terrain sur l’univers politique des ouvriers agricoles immigrés en Picardie, un thème qui suscitait beaucoup de méfiance dans les entretiens. Puis, après une grosse enquête collective sur le comportement de transfert de fonds des immigrés de huit nationalités que j’ai pilotée en 1975. J’ai réalisé ensuite une enquête de deux ans, pendant les conflits de Renault (1982-1983) pour pouvoir appréhender le monde ouvrier immigré et donc le lien avec le monde du travail industriel. Puis j’ai conduit deux enquêtes sur les acteurs civiques du mouvement associatif issu de l’immigration de culture musulmane avec le politologue Rémy Leveau. J’ai fait d’autres terrains sur les migrations est ouest en Europe mais aussi un travail d’enquête sur les réfugiés en 1996. Ma plus récente enquête de terrain porte sur les jeunes issus de l’immigration de culture musulmane dans l’armée française, publiée en 2007. J’ai donc toute une expérience de terrain et aujourd’hui je travaille sur des chiffres, des cartes avec une vision globalisée de l’immigration pour les Atlas des migrations internationales, publiés par Autrement et qui en sont à leur sixième édition et je prépare un livre sur Figures de l’autre avec différents questionnements. Par ailleurs engagée depuis longtemps comme militante associative à la ligue des droits de l’Homme depuis 1987, j’ai coordonné un Atlas des droits de l’Homme pour le 70ème anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’Homme en 2018 avec différentes thématiques et auteurs. J’ai toujours gardé une grande proximité autour de la question de l’immigration.

Concernant les migrations, quelles sont les questions qui sont au cœur de votre travail de recherche ? Pourriez-vous présenter votre démarche, ses enjeux, vos partenaires ?

Il n’a pas toujours été très facile de travailler sur les migrations de façon académique. J’ai eu la chance d’entrer au CNRS en 1980 du premier coup parce que ce que j’étais la première politologue à travailler sur les questions d’immigration. Cette question était beaucoup étudiée par les sociologues ou encore les économistes. Mon directeur de thèse, Georges Lavau, disait que c’était un sujet qui n’avait pas d’avenir scientifique car il n’entrait pas dans le cadre d’analyse classiques de la science politique. Il était à construire. Il ne faut pas croire que cela a été aisé d’imposer cette thématique dans le monde académique. Les thèmes qui comptaient le plus pour moi, en étant politiste, c’était la relation entre l’étranger immigré, l’univers politique et social et l’Etat d’accueil. Les immigrés sont des acteurs qui posent d’une certaine manière un défi à l’Etat qui y répond de manière générale par des politiques migratoires marquées par une dynamique de renvois, d’exil, dans un dialogue difficile avec les Etats nations. Certains essayent de survivre dans la mondialisation ou tentent de s’articuler autour d’une définition homogène de leur population, car ils se sentent menacés par tout ce qui transgresse d’une certaine manière les phénomènes de souveraineté (les frontières, les cultures…). La fermeture des frontières est un drame, c’est un sujet qui me préoccupe beaucoup qui inclut aussi la question des réfugiés. On est aujourd’hui dans une comptabilité parcimonieuse de qui entre ou qui n’entre pas et des catégorisations de populations en difficultés dans la définition du réfugié, d’un migrant, de la migration forcée ou non. C’est pour cela qu’au-delà de la question académique, je m’intéresse au regard critique sur les politiques migratoires qui se crispent autour de la montée des populismes. La politique migratoire est aujourd’hui une politique d’opinions. Ce qui me préoccupe aujourd’hui c’est la difficulté en tant que chercheur de convaincre scientifiquement les pouvoirs publics de changer de trajectoires sur les politiques migratoires. La parole des chercheurs n’est pas entendue, pareil pour les collectifs, les associations…

Comment vous êtes-vous impliquée dans le Réseau Traces par le passé ? Quelles sont vos possibilités de partager votre travail -vos recherches, les ressources qu’il constitue – avec le Réseau TRACES et le public de la région Auvergne-Rhône-Alpes ?

Je me suis impliquée sur différentes thématiques pour lesquelles j’ai été interpellée. Je suis intervenue au CPA sur la question de la mémoire mais aussi sur la question de la frontière avec Philippe Hanus et Yvan Gastaut (en particulier la frontière franco-italienne). Mais aussi j’ai participé à un colloque au musée de Grenoble et à des jurys de thèses. Je reste aussi en lien avec le monde académique la région à travers des revues comme Écarts d’identité où TRACES est présente mais aussi par l’initiative de TRACES. Avec par moment des initiatives associatives où nous nous sommes retrouvés.

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