HERODOTE N°174, 3°TRIMESTRE
Migration et nations
ED. LA DÉCOUVERTE.
Comment ouvrir et feuilleter la revue Hérodote sans penser à François Maspero, lui qui a créé cette revue avec Yves Lacoste en 1976. Ce temps long dit la force, la puissance d’un regard sur le monde prenant racine dans les bouleversements des années 1970.
Le dernier numéro de la revue étudie les rapports si étroits entre migrations et nations. Dans son introduction, Béatrice Giblin écrit : « la menace que fait planer l’immigration sur l’identité nationale est suffisamment puissante pour en convaincre une partie de l’opinion publique et contraindre les responsables politiques d’adopter leur politique migratoire en renforçant le contrôle aux frontières… (La) possibilité offerte aux migrants de devenir citoyens est celle qui change du tout au tout l’approche de la question de l’immigration et de la nation ». Cette relation traverse, certes, tous les pays de l’Union Européenne, mais la revue a pris , fort heureusement, du champ par rapport à l’Europe et les articles ouvrent le champ de nos réflexions en allant étudier la situation en Russie, au Liban, dans le golf arabo-persique, en Israël, au Royaume Uni où la question migratoire est devenue presque centrale dans le Brexit (en 2014 lors d’un sondage, 77% des Britanniques interrogés étaient favorables à une réduction de l’immigration…). Dans tous les pays “visités” nous devons constater une montée des idées d’extrême-droite.
Pour ce qui concerne la France, la revue offre un double regard. Le premier celui de Jérôme Fourquet et Sylvain Monternach qui racontent cent ans d’immigrations par le choix des prénoms et une contribution de Jérémy Robine qui interroge la représentation de la Nation française en rappelant qu’il n’y a pas d’arrivée significative de migrants sur notre territoire, d’où cette interrogation : de quoi parle-t-on en fait ? Une fois de plus, il faut nous dire qu’il n’y pas de crise de migrants mais bien une crise de nos représentations politiques, de nos espérances, de notre regard sur le monde…
La lecture de ce numéro rappelle que la marche des femmes et des hommes vers d’autres destinées, vers d’autres horizons concerne l’ensemble de la planète terre. En ce sens il devient urgent de repenser nos imaginaires autour de la question de l’hospitalité et d’un droit à l’errance, de rappeler aussi qu’en 1977 (avant la chute du mur de Berlin) que les puissances occidentales, au moment des accords d’Helsinki, avaient posé les premières pierres de ce droit en appelant à la libre circulation des personnes au même titre que la libre circulation des marchandises…c’était le temps d’une féroce bataille idéologique contre le régime soviétique.
En lisant ce numéro d’Hérodote c’est bien évidement à la question des frontières que nous sommes confrontés. Cette question que petit à petit, parce que nous laissons la réponse aux nationalistes de toutes sortes, nous les laissons se transformer en gouffres pour notre avenir.
Bruno GUICHARD
Cet article a été publié dans la revue ÉCARTS D’IDENTITÉ # 133