Pourriez-vous vous présenter en quelques mots, nous dire quelques éléments importants de votre parcours, notamment en ce qui concerne votre intérêt pour le sujet des migrations ?
J’ai passé mon enfance à proximité de Pontarlier, petite ville ouvrière du Jura frontalière avec la Suisse… L’idée de la frontière, qui est à la fois ce qui sépare et relie deux mondes, est donc très présente en moi…. Et a probablement stimulé un imaginaire de contrebandier qui m’anime toujours. Le film « No man’s land » du genevois Alain Tanner, tourné sur place, décrit bien cette ambiance des « confins » dans laquelle j’ai baigné dans le Haut Doubs. Au cours des années 1980 dans cette région, comme un peu partout en France, sévissait une forme de racisme « anti-arabe ». Paradoxalement mon collège s’appelait Philippe Grenier (1865-1994) – enfant du pays devenu « député des musulmans de France » sur les conseils de Jean Jaurès. Autre paradoxe, à Pontarlier un certain nombre de lieux publics portent le nom de Toussaint Louverture, mais peu d’habitants de la ville savent pourquoi… Or, il se trouve que ce personnage-clé de la révolte des esclaves haïtiens est mort en détention en 1803 au fort de Joux, situé à quelques kilomètres de la ville. Ayant été socialisé dans une famille « tiers-mondiste », comme on disait à l’époque, je me suis (un peu naïvement) engagé dans les mobilisations antiracistes au lycée… Je suis même allé écouter une conférence de Christian Delorme le « curé des Minguettes » quelques temps après La Marche pour l’Egalité, qui a marqué mon imaginaire politique. Avec des copains de mon village j’ai ensuite joué dans un groupe de « rock garage » qui s’appelait Corrosion. Dans nos compositions on dénonçait le régime de l’apartheid en Afrique du sud. En 1987 je découvre Carte de séjour sur scène : une baffe (j’ai gardé l’affiche du concert) ! J’essaie ensuite maladroitement de bricoler des sonorités « arab rock » sur ma guitare… Sans imaginer que 25 ans plus tard je m’intéresserais (grâce à la rencontre de Brahim M’Sahel percussionniste du groupe et compagnon de la fondatrice de Traces Warda Houti) avec ma casquette de chercheur à la genèse de ce groupe de musiciens héritiers de l’immigration maghrébine à Rillieux la Pape ! A l’Université de Besançon je me passionne pour l’anthropologie historique, dans l’héritage des travaux de J. P. Vernant et P. Vidal-Naquet, et m’interroge, dans mes premières recherches, sur la manière dont les Grecs de l’Antiquité se représentaient l’ Autre : des Barbares celtes, aux Scythes, en passant par le monde indien, etc…
Concernant les migrations, quelles sont les questions qui sont au cœur de votre travail de recherche ? Pourriez-vous présenter votre démarche, ses enjeux, vos partenaires ?
Après ma thèse soutenue à l’Université de Grenoble j’ai travaillé dans le Vercors, territoire fréquemment mis en scène comme une île coupée du monde … Grâce à l’appui du PNR-Vercors et du Musée Dauphinois, avec un groupe d’historiens locaux et d’étudiants nous n’avons eu de cesse de « dés-essentialiser » les représentations du « monde rural » (les mondes ruraux devrait-on dire !) en convoquant la figure de l’étranger là où on ne veut pas le voir : dans l’agriculture et la forêt. J’ai alors fait mes premières enquêtes sur les fromagers suisses, bûcherons et charbonniers saisonniers italiens (puis portugais et nord-africains), ouvriers agricoles polonais, etc. J’ai poursuivi ce travail avec un intérêt tout particulier pour les trajectoires migratoires de l’Italie vers la France, en m’intéressant au « moment du passage » de la frontière (la frontière toujours !) après 1945. D’autres travaux m’ont ensuite conduit à questionner la figure de l’ « étranger » durant la Seconde Guerre mondiale : celles et ceux qui sont désignés comme indésirables : antifascistes de toute l’Europe, juifs, etc. ; mais aussi l’engagement des étrangers et coloniaux dans le maquis.
Comment vous êtes-vous impliqué dans le Réseau Traces par le passé ? Quelles sont vos possibilités de partager votre travail -vos recherches, les ressources qu’il constitue – avec le Réseau TRACES et le public de la région Auvergne-Rhône-Alpes ?
Je découvre l’aventure Traces en 2003 (à peu près au même moment que la revue Ecarts d’Identité) et m’y engage aussitôt. Notre grande fierté dans le Vercors — à une époque où le forum Traces se déroule essentiellement dans les grandes villes de la région — c’est de mettre en place des actions culturelles et mémorielles sur le thème de la migration à la campagne ! Puisque le service ethnologie de la DRAC et certains élus du Parc nous soutiennent, alors on organise des petits événements avec des collectifs d’acteurs locaux : des conférences dans les MJC et salles des fêtes rurales, une reconstitution de charbonnière, avec accueil d’une délégation de chercheurs italiens de la région de Bergame (d’où sont originaires les charbonniers), des randos-mémoire sur la trace des réfugiés espagnols et même un concert « rap-rock » de Zone Libre, emmené par Serge Teyssot-Gay, avec Casey et B. James, en octobre 2009, au cours duquel est abordée la mémoire tragique des événements du 17 octobre 1961 à Paris. Depuis 2018 je coordonne l’ethnopôle « Migrations, Frontières, Mémoires » rattaché au Centre du patrimoine arménien de Valence, dispositif soutenu par le Ministère de la Culture, qui nous permet de mettre en place ou d’accompagner des programmes de recherche en sciences sociales en Drôme et plus largement à l’échelle régionale autour de l’expérience migratoire. Nous aidons également les porteurs de projets locaux qui nous sollicitent pour préparer une exposition ou une journée d’étude sur le thème de la migration. Depuis quelques mois, outre une enquête sur l’accueil des réfugiés du Sud Est asiatique en Drôme-Isère et des travaux sur les modes d’habiter dans les quartiers populaires de Valence, nous interrogeons, avec l’appui de notre équipe scientifique, les recompositions identitaires à l’œuvre au sein des populations en diaspora. Enfin, le Cpa ayant un intérêt particulier pour la photographie dans es expositions, nous mettons en place des ateliers mixtes ouverts aux artistes, chercheurs et travailleurs sociaux qui interrogent les représentations de l’ « immigré », du « réfugié » et du « migrant »…